Affiche du film

Tentation de la forteresse (La)

Un film de Martina Magri

 2016  France  Film expérimental  12 mn  N&B et Couleur

 Scénario : Magri Martina  Image : Noé Bach  Son : Gaël Éléon  Montage : Nathalie Vignères  Musique originale : Laurent Durupt

Producteur :

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Dernière mise à jour : 19 janvier 2017

Un jour j’ai été surprise par une image. Un détail. C’était un homme dans un chantier. Il était au bord du cadre, éloigné du centre de l’action. Le point n’était pas sur lui, on pouvait voir à travers son corps. Il semblait m’appeler. Mais je n’entendais pas sa voix. L’homme venait de loin. Jeté dans le ventre de la terre, il marchait en silence au milieu d’une construction qui gardait la trace de ses mains. Les yeux écarquillés, j’observais les ruines qui l’entouraient. Je voulais retrouver sa voix. La route témoigne encore du labeur de l’homme que je cherche, mais a enseveli sa voix. Qu’est-ce qu’il attendait de moi ' Peut être, simplement, que je le regarde.

Paris, 1964. Des images d’archive restituent la traversée panoramique d’un chantier d’aménagement urbain : on reconnaît le boulevard périphérique de Paris. La musique accélère. Un commentateur, avec le ton enjoué des années de l’espoir, s’exulte : « Un peu partout à la fois, le Paris de demain est en train de pousser. Quel sera-t-il ce Paris de l’an 2000 ? »

Dans les archives de l’INA, les actualités restituent la dimension futuriste du nouvel aménagement urbain qui marque l’époque de la France automobile. Mais en dessous de cette surface policée, qui montre une ville qui embrasse son futur, on aperçoit une ville qui se recroqueville derrière un long rempart routier, pendant que les autres capitales d’Europe s’ouvrent sur leurs banlieues et les assimilent.

Le boulevard périphérique de Paris, chantier-symbole de la promesse de modernité de la ville pendant les Trente Glorieuses, s’étend de 1956 à 1973, pendant la guerre d’Algérie, la décolonisation, la guerre froide et la révolution sociétale de Mai 68.

Quelles interactions se jouent entre cet élan vers le futur et la guerre qui est en train d’être menée en Algérie, qui entraînera la France à perdre les territoires colonisés ? Subsiste-t-il un lien entre cette guerre, le successif démantèlement des colonies et le mouvement défensif d’une métropole nouvelle qui se cache derrière ses frontières/remparts et se pose, implicitement, en ville-État fermée sur l’extérieur ?

L’évolution de la ceinture de Paris, d’abord fortification, ensuite zone non aedificandi occupée par des bidonvilles et in fine boulevard périphérique, a été l’objet de plusieurs fantasmes d’aménagement de la part des pouvoirs en place aux différentes époques : barricade pendant la Commune, nouvel espace d’habitation pour désengorger Paris selon la politique démographique du début du XXe siècle, bretelle verte à l’usage des populations démunies dans les années 1930, jusqu’à trouver sa forme d’anneau routier dans les années 1950, en suivant le désir de la France automobile, la France de l’avenir, engendrée par les idéaux des années 1940 et rendue possible par le nettoyage de la zone, opéré par le régime de Vichy.

Ce projet émet une hypothèse : l’architecture du boulevard périphérique, construit sur le tracé de l’enceinte de Thiers (1841-1929), contiendrait-elle une dimension défensive ?

À la lumière des divisions que cette ceinture impose aujourd’hui, en désignant un centre et une périphérie, peut-on penser que Paris ait construit, pendant ces années, non seulement un axe routier majeur, mais aussi sa forteresse ?

Le film se structure autour du montage dialectique des images d’archive de plusieurs événements historiques concomitants : la construction du boulevard périphérique, la guerre d’Algérie, Mai 68. Sur les images se tissent les voix des ouvriers du chantier, retrouvés aujourd’hui, livrant leur mémoire de la construction du rempart routier.

Film réalisé dans le cadre de la résidence Frontières 2016 au Musée de l’histoire de l’immigration.

Pour découvrir ce film

Plus d’informations sur le film :
Carnet de résidence

Le film dans la Base cinéma & société

Chemin d’accès :
Migrations in Que chacun·e devienne « l’obligé·e du monde »