L’évocation du monde rural traverse l’histoire du cinéma français
Les regards filmés sur la réalité vécue à la campagne, se croisent, cheminent ensemble, parfois se télescopent ou se contredisent. En aucun cas, ils ne laissent indifférents, ils invitent à échanger et à prendre la mesure de la réalité de ce que ces images renvoient pour s’en émouvoir, s’en offusquer ou se laisser surprendre.
Cette semaine de cinéma, organisée à Tulle, au cinéma le Palace, dans la communauté de communes Tulle et cœur de Corrèze, chez les paysans qui accueillent cette manifestation nous fera voyager à travers le temps en nous rendant l’image d’un monde disparu à jamais, d’un monde qui se transforme tous les jours, et ce depuis les débuts de l’histoire du cinéma… Comme l’an dernier pour évoquer le Front populaire, notre parti pris est de proposer au regard toutes les époques, toutes les formes de cinéma : le cinéma de fiction à travers quelques grands films fondateurs, comme les documentaires passés et récents, les films engagés comme les films institutionnels, les films militants comme les films de propagande, ce n’est pas la même chose…
L’immensité de ce thème nous invite, à nous limiter au territoire français, à quelques exceptions près. Cinq thèmes serviront de fil conducteur à la programmation :
La terre demeure la question centrale du monde paysan : transmettre le bien à ses descendants après un dur labeur, avoir agrandi le domaine, se battre pour avoir le droit d’être libre sur la terre que l’on travaille ou en devenir propriétaire, ne pas morceler le domaine familial, trouver un successeur qui reprendra la ferme… autant de questions qui, de tous temps, traversent la société paysanne. De Terre sans pain de Luis Buñuel aux grands films de fiction comme Regain de Marcel Pagnol, ou Biquefarre de Georges Rouquier, ce thème est sans doute celui qui traverse l’ensemble de l’histoire du cinéma rural. Quoi de plus fort que la parole d’un paysan pour illustrer ce thème ? Léonce Chaleil, en témoignera dans Des Paysans : La Terre (partie 3) de Jean-Claude Bringuier.
Les représentations du village lieu de lien social, mais aussi de conflits, de clans, d’intérêts opposés, de co-existence quotidienne entre les notables et les « manants » traversent les films sur le monde rural. Le village réagit, en bien ou en mal à l’introduction de la nouveauté, ce sera le thème de L’école buissonnière de Jean-Paul le Chanois. Parfois comme dans Jour de fête de Jacques Tati, le mode d’habiter un village est le thème central du film.
Qui sait si Comment voyage une lettre, réalisé dans les années trente par Albert Mourlan et restauré par les Archives Françaises du Film du Centre National de la Cinématographie ne pose pas une question devenue récurrente, celle d’un accès égal pour tous à un service public, la poste ?
La relation avec le progrès est sans doute le thème qui structure le plus le discours de certains commanditaires de films sur le thème du monde rural comme le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Ce dernier, en choisissant d’accompagner dans les années soixante, les transformations du monde rural par une politique de production de films très ambitieuse montrait à quel point le cinéma était devenu un vecteur de la volonté de l’État d’aider à la transformation des campagnes. Palot réalisé par Armand Chartier et Edmond Foury en témoigne. Farrebique (ou les 4 saisons) de Georges Rouquier sema l’étonnement au Festival de Cannes de 1946, en proposant à cette époque, un film dont les principaux acteurs étaient les paysans eux-mêmes.
Le rapport villes-campagnes. Depuis le début de la révolution industrielle, le monde rural et le monde citadin vont cohabiter plus activement ensemble. L’exode rural, l’attraction - répulsion de la ville, lieu où on peut trouver du travail, lieu conjugué de magnificence et de perdition, vont traverser le cinéma français, véhiculant parfois des images caricaturales du monde paysan, comme dans Colonies de vacances, l’un des premiers films produits par le Parti Communiste Français, en 1931, ou du monde citadin comme dans Faits divers à Paris de Dimitri Kirsanoff, produit en 1948.
Les paysans, acteurs de l’histoire ? Si d’aucuns ont décrit le monde paysan comme un monde immuable, ancré dans la terre et imperméable aux idées de transformation sociale, d’autres cinéastes ont souligné les désirs de changement, des premières révoltes paysannes, aux paysans du Larzac, en passant par la création d’un syndicalisme rural … La lutte du Larzac de Philippe Cassard, ou Paysan et rebelle, un portrait de Bernard Lambert, réalisé par Christian Rouaud en sont le vivant témoignage.
Déjà, dans les années qui précèdent le Front populaire, Yves Allégret, dans un film produit par la Coopérative de l’Enseignement Prix et profits : la pomme de terre, expose le fonctionnement du capitalisme à travers la détermination du prix d’une pomme de terre, du producteur au consommateur et souligne la nécessité de l’alliance entre les ouvriers et les paysans.
Cette programmation, qui croise des regards différents parce qu’elle propose des films de toutes les origines, n’aurait pu être proposée au public sans la participation d’institutions qui ont ouvert leurs fonds et qui oeuvrent tous les jours à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine cinématographique comme les Archives françaises du film du Centre national de la cinématographie et le pôle audiovisuel-cinémathèque du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. L’ Institut National de l’ Audiovisuel fera découvrir au public l’aube de la télévision, lorsqu’on pouvait découvrir le même paysan à l’écran et sur le plateau, commentant la réalisation du film. Qui imaginerait cela aujourd’hui ?
L’association Documentaire sur Grand Écran se devait de participer à cette semaine de cinéma pour évoquer son travail original de diffusion du documentaire. En effet, la question de la diffusion des films, facilitée pour tous, est la préoccupation centrale de l’association Autour du 1er mai et de son activité permanente : la création sur Internet de la base documentaire sur les films et la société, dont nous nous félicitons qu’elle soit aujourd’hui accessible au public, consultable et alimentée par les propositions de tous.
Pour terminer cette présentation par une dimension qui est peu connue du public : une semaine de cinéma coûte très cher. Nous n’avons pu présenter certains grands films de fiction, car leurs coûts de location étaient excessifs. En effet, pour certains distributeurs, mieux vaut laisser un film dans une armoire que de le montrer au public en proposant un prix modique de location. Ainsi est la réalité économique du cinéma. Organiser une semaine de cinéma comme celle-ci est une véritable activité culturelle à part entière. Elle ne pourrait se faire sans le soutien public et constant des partenaires qui nous accompagnent et nous encouragent, la Ville de Tulle, la Communauté de communes Tulle et Coeur de Corrèze, le Conseil Général de la Corrèze, le Conseil Régional du Limousin, la DRAC Limousin, le Programme européen Leader+ ainsi que la Fondation pour le progrès de l’homme.
Nous les remercions de faire du cinéma un moment conjugué de plaisir et de questionnement, partagé pour tous.
Sylvie Dreyfus,
Présidente de l’association Autour du 1er mai.