Pourquoi faut-il une revue sur le cinéma et les mouvements sociaux ?
Pourquoi faut-il aujourd’hui une revue qui parle du cinéma politique et social ? Une première réponse se trouve dans le monde tel qu’il va, un monde qui passe par des transformations et des tensions politiques, économiques, sociales majeures, dont la plus lourde met en péril la continuité de la vie sur la planète telle que nous la connaissons, et dont nous sommes issus en tant qu’espèce et consciences.
Nous vivons, pour beaucoup d’entre nous, cette période de fracture et de transformation dans une espèce d’hébétude abasourdie, assommés par le vide idéologique que crée le tout communicationnel des échanges et des idées reçues véhiculés par les médias. Capital, état, classes sociales et rapports d’exploitation, ce sont des termes qui n’existent plus dans le débat public. Il n’y a que le « pays tout entier » face aux « défis » que lui pose la « modernité » – langage qui sert de camouflage pour le démantèlement délibéré de tout l’édifice de protection sociale et de production nationale mis en place depuis la fin de la guerre. Penser la société que nous formons, penser ses transformations, les rapports de force qui la traversent, penser et agir pour résister aux mouvements de domination et d’oppression que nous percevons, à condition de pouvoir ouvrir les yeux, voilà un des enjeux d’un cinéma social, politique d’aujourd’hui.
Évidemment, les espaces de création de ce type de cinéma se rétrécissent dans les filières de production classiques. Une société qui réduit l’offre sociale du logement, qui démantèle le code du travail et qui transforme l’écologie en une spectaculaire suite d’effets d’annonce, une telle société serait incohérente avec elle-même si elle encourageait ou suscitait une culture de questionnement et d’intelligence. Donc le cinéma social et politique est, de plus en plus, un cinéma de nouveau militant, un cinéma qui se fabrique à partir de l’engagement de ses créateurs, et qui se diffuse par la volonté de programmateurs souvent non-professionnels.
C’est un cinéma souvent méprisé par les critiques de la profession et ignoré par la plupart des diffuseurs. Et donc il est peu connu, peu débattu, peu montré. Notre utilité en tant que site, en tant que revue, sera, entre autre, de faire connaître le cinéma de critique social et politique d’aujourd’hui.
Et si nous pouvons susciter des envies de programmation, des séances qui rassemblent des gens dans une discussion collective, un lieu de réflexion groupée, ce sera une autre fonction utile. Car le cinéma est, à l’encontre de la télévision, un art de masse et un art de groupe. Le groupe public se crée à chaque séance et, à condition de prolonger le lien par un débat, par une discussion, ce groupe peut exister comme source d’enrichissement pour chacun de ses participants.
Pour moi, cinéaste qui se bat aux marges du système, cette revue a une fonction essentielle : savoir ce qui se fait, commenter et faire connaître le travail des autres, faire communiquer et débattre les créateurs et les spectateurs, afin de nourrir pour chacun d’entre nous notre volonté de comprendre, de voir, de nous battre, de créer et de montrer, voilà le but que j’assigne à notre travail. Que les volontés attirées par un tel projet se fassent connaître. Leurs contributions seront les bienvenues.
Michael Hoare,
7 janvier 2008