Étranges étrangers, par Nadia Mokaddem, Peuple et Culture
Étranges Étrangers ? voilà le titre de notre prochaine décade. Vous dire deux mots de cette décade qui mêle cinéma et société. La décade Cinéma et société est un festival de cinéma avant tout (fictions et documentaires) quand le cinéma travaille une matière avec ses outils cinématographiques, quand l’art en somme apporte son éclairage et qu’il n’est pas amené comme un prétexte pour débattre d’un sujet, nous pensons alors qu’il nourrit alors une autre forme de pensée sensible, un autre regard sur le monde.
Cette année, nous étions tiraillés, malmenés, agacés, révoltés concernés, travaillés par la question des migrations, du sort fait aux étrangers et par ricochet à nous autres. Parce que finalement l’étranger c’est qui ? On se souvient de la question directe posée à la petite Brigitte Fossey dans Jeux interdits, deux enfants se rencontrent et le petit garçon questionne la petite fille « t’es pas d’ici toi ! t’es d’où ? ».
Nous nous disions bien sans trop oser le clamer on ne naît pas étranger, il semblerait qu’on le devienne au forceps de l’autre, sous son regard. Et dans le même temps, nous étions aussi habités par un discours inquisiteur nous obligeant quasiment à emprunter une autoroute unique de la pensée et du mouvement de nos corps : la définition française de l’identité nationale. La définition européenne des normes européennes sur la traçabilité du bétail humain. Schengen, vous avez dit Schengen ?
L’Afrique n’était pas entrée dans l’histoire, notre République nous donnait des modèles, comprenez des patrons tout faits pour épouser LE vêtement de l’Homme Moderne.
Engoncés dans ce costume cravate qui nous imposait un mouvement du corps et de l’esprit- Il est même venu à l’idée à certains missionnaires de préconiser aux papous le port du costume cravate on repensera à ces films fabuleux sur l’évangélisation des papous- la décade nous est apparue alors comme l’occasion idéale de suivre du regard plutôt ceux et celles qui font tomber la chemise et craquer les coutures de ce vêtement unisexe, unicolore et unie-vie pour une vie unie-fade et qui conduit à des logiques mortifères. En somme détourner le regard loin des miradors, faire un pas de côté et chercher dans les films ce qui tisse nos réalités. Telle a été notre méthodologie : penser par le choix des films…
Mais quelle thématique alors et comment l’explorer : les migrations de A à Z ? l’émigration ? l’immigration ? l’exil ? l’exil intérieur ? les visions de l’étrangeté ? les phobies et les applications idéologiques des ostracismes au racisme en passant par les violences d’état, aux violences systémiques ?
Finalement, nous parlions peut-être d’une contrée commune, d’un apanage commun, oui nous avions envie de parler identité(s), de rêver identité(s) et de nous repasser le film qu’on nous a raconté en allant explorer ailleurs, glaner des regards en empruntant à des cinéastes et documentaristes de nouvelles étoffes, soieries et textiles pour repenser et repanser voire repriser nos identités… nos identités un tantinet meurtries par des pratiques politiques qui nous imposent la blouse et si j’osais… le blues.
Mais les films ont leur langage et ne disent pas tout, et ne peuvent pas tout, ils nous donnent aussi envie de cheminer ensemble sur le pourquoi du comment de ce prêt-à-porter qui nous corsète la respiration. Voilà pourquoi nous avons décidé de ne pas restreindre nos intuitions et pistes d’analyse sur la question en conviant d’autres créateurs de pensée : des sociologues, des féministes, des philosophes, des historiens, et peut être aussi un groupe de musique qui refuserait le port du blues obligatoire. De quoi penser, sentir et expérimenter si l’habit ferait le moine et chanter à l’instar de Juliette Gréco déshabillez moi oui mais pas trop vite, pas tout de suite. Disons du 13 au 17 mars et du 1er au 5 mai. Tenues correctes pas exigées. Le proverbe ne dit-il pas autour du premier mai fais donc ce qui te plaît ?
Nadia Mokaddem, Peuple et culture Corrèze