Cinéma et monde rural, du 27 avril au 5 mai 2007, à Tulle et dans le pays de Tulle. Un Bilan personnel.
Une semaine de projections, parfois dans une des salles du multiplexe Le Palace, au cœur de Tulle, parfois devant des salles combles, dans un salon ou dans une grange des hauteurs environnantes, chez l’habitant ou dans la salle commune d’un village.
Des films dont le premier date de 1930 et le plus récent de 2005, couvrant les genres divers de documentaire institutionnel, voire propagandiste, d’enquête ou militant, ainsi que des fictions de style et de fabrication très différents.
L’animation des séances et la réflexion collective propulsées par un cinéphile universitaire passionné, Patrick Leboutte, et par trois chercheurs sur le monde rural dont un, Yves Dupont, est persuadé que « nous sommes entrés en catastrophe » , un autre, Pierre Bitoun, porte son attention sur les représentations du rural dans la littérature et le troisième, Pierre Alphandéry, se dit persuadé que le rural est devenu complexe, multiforme et, d’une certaine manière, a cessé d’exister comme lieu autonome d’interaction sociale.
Que conclure d’une rencontre aussi foisonnante, passionnante certes, mais qui par bien des côtés résiste à tout résumé simplificateur ?
Je porterai mes remarques essentiellement sur les films et sur quelques points saillants des débats. Partiales, partielles, ces remarques sont proposées pour donner une trace écrite à ces discussions, aussi imparfaites soient-elles, et pour que, d’une manière ou d’une autre, ces débats aient une suite.
1. La société paysanne française est morte, et le cinéma a enregistré les étapes de sa disparition.
Si on entend par société paysanne une société où de petits agriculteurs assurent la plus grande partie de leurs moyens de subsistance à partir d’une terre où ils vivent et travaillent de génération en génération, une société enracinée dans des traditions et une culture du lieu ancestrale, une société qui évolue lentement au gré des influences extérieures et des pressions intérieures, de cette société-là qui dominait l’activité agricole française, du moins pour la majorité de la population qui y travaillait, jusqu’à la fin des années cinquante, il n’en reste que des bribes et des réminiscences dans les villages aujourd’hui. Elle a été remplacée par la société de l’agriculteur exploitant, le chef de petite ou de moyenne entreprise dont le capital (en général hypothéqué) est sa terre et ses machines.
La France étant la France, la terre reste privée et relativement morcelée, encore que des mouvements de « remembrement », les concentrations, disparitions et faillites ont eu comme effet d’agrandir les parcelles pour rendre leur exploitation mécanique plus rentable. Pour des raisons politiques et historiques, la ferme française n’a toujours rien à voir avec les surfaces cultivées, propriété d’un seul acteur économique, que l’on trouve aux Amériques ou en Australie. Pour l’instant, la campagne française reste peuplée et les syndicats d’agriculteurs une force écoutée sur le plan national. L’industrie agro-alimentaire est, après tout, un des plus forts créateurs de valeur ajoutée et de bénéfices à l’exportation de l’économie française. Faut-il, pour citer le titre d’un article clef d’Yves Dupont, « Pleurer les paysans ? » [1] , pourquoi ? Quel savoir, quel rapport à la terre, au vivant, à la connaissance est-ce que nous perdons avec la disparition de la pratique paysanne de l’agriculture ? Pourquoi le rapport au vivant, à la biosphère devient-il mortifère lorsque le mode d’exploitation et les rapports sociaux à la campagne deviennent plus distants, capitalistes ? Est-ce qu’il y a dans le savoir et les pratiques paysannes des éléments d’importance pour nous, habitants de la terre du 21e siècle ? Et surtout est-ce qu’il y a, caché sous la surface, un rapport à l’autre qui a été escamoté, détruit dans la transformation capitalistique du monde rural français ? C’était l’objet des débats, à différents moments de la semaine, et notamment pendant les séances de formation.
Les films rendaient visibles les étapes du processus. Regain, Farrebique ou Goupi Mains Rouges montrent la force des personnages et de la reproduction des sociétés paysannes avant et juste après la guerre. De nombreux films des années 50 ou 60 témoignent des tensions qui travaillent la campagne. Le vieillissement des personnages devient patent, et le problème de la migration vers la ville des jeunes est fréquemment évoqué. Les tensions débordent, se multiplient et deviennent lutte dans les années 70. Aujourd’hui les films témoignent d’une campagne française habitée et travaillée par des personnages autres qui, (Trois frères pour une vie, Le champ des paysannes) ou bien ne participent plus à la production agricole, ou bien souhaitent ne plus y participer, ou qui, même s’ils restent agriculteurs, participent pleinement à la modernité de leur société nationale.
2. Le cinéma a été un outil de propagande, un outil d’archivage, et un outil de lutte dans ce processus.
Les films du début de la semaine, notamment les deux films tournés sous le régime de Vichy, À nous jeunes, et Les Postillons du Limousin, ainsi que le film d’après-guerre incitant le paysan à la production, Sème… paysan !, ou le film d’avant-guerre analysant l’exploitation contenue dans le prix d’une pomme de terre Prix et profits, rappellent le rôle propagandiste que peut jouer le cinéma. Les deux films Vichystes exaltent une « communauté nationale » dont les paysans étaient censés être un socle fondateur. Mais même les films, de droite ou de gauche, filmés en République, forts de la voix off et des images soigneusement cadrées et scénarisées typiques de l’époque, laissent peu de place au jeu entre filmant et filmé. L’en-commun créé par le geste cinématographique n’existe pas, tant une volonté de maîtrise et de communication unilatérale d’un message orientent l’ambition de la mise en scène.
Plus tard, avec une plus grande souplesse technologique et une ambiance politique moins pesante, les échanges entre réalisateurs et personnages deviennent possibles, plus fluides et nous engagent. C’est vrai y compris dans des films qui ont valeur d’archive. Ainsi le travail de Jean-Dominique Lajoux ( Les travaux et les jours, Les Fajoux, Fléaux en cadence…) tournés à l’unité de cinéma anthropologique du CNRS dans les années soixante, démontre une véritable attention au geste, à l’organisation d’un travail que l’on sait, de part et d’autre de la caméra, en train de disparaître. Les personnages vieillissants, les méthodes de battage ressuscitées pour le tournage, de nombreux indices montrent une complicité entre les paysans filmés et le cinéaste, les deux mus par une commune volonté de préserver et de transmettre une manière d’être que l’on sait mortelle.
Même un film plus récent, comme Par devant notaire, ( Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau, 1999 ) témoigne de la nécessité de garder une trace de cette vie campagnarde en train de disparaître. Que fait le notaire dans ce film ? Dans la plupart des séquences, il sanctionne des départs, la suite des décès, des ventes de terrain dues à la volonté de prendre sa retraite. Il y a peu de jeunes, malgré la vie drôle et riche qui se dégage de chaque plan.
Lorsque les tensions politiques et économiques sur la paysannerie deviennent insupportables, la révolte éclate. Elle éclate à la campagne à la fin des années 60 en synchrone parfaite avec les révoltes estudiantines et ouvrières en ville, et plusieurs films témoignent de cette dynamique. La projection du beau film reconstruit par Philippe Cassard, à partir d’archives Super 8 jusqu’à très récemment non montées, La lutte du Larzac 1971-1981, a été un des moments forts de la semaine. D’abord parce que les cinéastes ont participé à différentes phases de la lutte. Certains étaient là, dans la salle, débattant avec le public qui remplissait la grange devenue salle de cinéma.
Ceci faisait écho à une remarque de Patrick Laboutte qui soulignait le fait que peu de cinéastes viennent du monde rural. Le monde rural et les gens qui l’habitent sont regardés, filmés par des gens qui viennent de la ville, imbus d’une culture citadine. D’où la fréquence d’une certaine extériorité dans le regard du cinéaste par rapport à son objet. Ceci est particulièrement flagrant dans des films ou les paysans sont désignés comme des « ploucs », objets de ridicule ou d’entêtement, résistants à la raison, voire même profiteurs des misères de la ville. Mais c’est aussi le cas, même dans des films qui s’affichent comme le résultat d’un regard plus « sympathique ». Dans La lutte du Larzac, la révolte paysanne est filmée par ses participants. L’intériorité du regard, la proximité des commentaires au vécu et aux souvenirs des personnages filmés abolit cette distance et en fait un film sur le monde rural filmé de l’intérieur du monde rural. Il faut saluer le travail de construction mené par Philippe Cassard, travail fait entre commentaires off, chansons et piste son de l’époque, et images fourmillant de grain et pétant de Kodacolor bien saturé. Le film remue le spectateur, quel qu’ait pu être son rapport, ou son absence de rapport, à la lutte du Larzac.
Vivre à Davignac est un autre très beau film de lutte réalisé par Bernard Gesbert pour l’INA en 1974. Il raconte l’aventure d’une coopérative, un GAEC, fondée en Haute Corrèze pour permettre à trois familles de paysans de poursuivre leur activité d’élevage malgré la baisse continue des prix. Une mise en scène espiègle fourmille de toutes sortes de références au cinéma, de la comédie musicale aux scènes d’enterrement dans un thriller noir. Le documentaire d’observation coexiste avec le chant militant. Le souffle d’une révolte joyeuse traverse ses deux films et devient vite contagieux parmi les spectateurs.
Dans ce mouvement, on peut aussi situer le portrait de Bernard Lambert, Paysan et rebelle, réalisé par Christian Rouaud en 2003. Lambert est une figure tragique du monde rural français, et la montée et la chute de ce météore politique constituent un destin dont le film ne donne pas toute la densité et toute l’intensité que l’on aurait pu vouloir. Parti parmi des jeunes optimistes, rénovateurs et rationalistes des bancs de la JAC (Jeunesse agricole catholique) dans les années 50 et 60, il mène une scission au sein de la toute puissante FNSEA, fonde les « Paysans travailleurs » pour regrouper les petits paysans menacés par le remembrement et les quotas européens sur le lait. Ce groupe deviendra un des constituants de la Confédération Paysanne (et aussi l’objet de quelques films du Front Paysan animé par Guy Chapouillié, qui auraient eu leur place dans ce festival). Mais vers la fin des années 70, Lambert rencontre ses limites politiques et économiques. Sa ferme d’élevage de volailles en Bretagne fait faillite et il meurt, malade, pauvre, presque ignoré.
D’autres films plus problématiques ont inscrit la lutte et les résistances des années 70 dans leurs fibres. Lo Païs (Gérard Guérin, 1973) est une fiction un peu faible et convenue sur l’arrivée d’un jeune de la campagne dans les foyers et petits boulots parisiens. Il pleut toujours où c’est mouillé (Jean-Daniel Simon, 1974) franchit les limites du vraisemblable avec une histoire de liaison sur fond de village en pleine guerre du lait entre un syndicaliste paysan PCF et une institutrice gauchiste. Mes propres souvenirs du parti de Georges Marchais me disent que les militants PC de l’époque n’étaient pas exactement sympas avec les gauchistes. Il arrivait même qu’ils leur tapent dessus. Mes propres souvenirs me disent aussi que seul un fou irait se balader en rase campagne (ou dans un quartier urbain) pour faire de l’affichage politique tout seul. Mais enfin, il faut trouver là où on peut les ressorts de sa fiction : il y a les bons et les méchants et il faut que les bons gagnent à la fin (les nervis et les donneurs d’ordre de la droite sont les méchants, heureusement pas les gauchistes). Ce film est surtout remarquable pour le portrait d’une femme de paysan, Marianne (Myriam Boyer), personnage féminin dont l’honnêteté et la souffrance nous remuent réellement.
Il est dommage que la projection du film d’Alain Aubert, Chronique des années tristes, n’ait pas permis de revoir l’ensemble de ce travail. Aubert filme sur les traces des pratiques de la distanciation chères à Bresson, et largement promues par les gourous de Cinéthique à l’époque (l’ennemi de la conscience du spectateur, c’est l’identification, n’est-ce pas ? ). On peut trouver la forme froide et statique, mais il était impossible de saisir la logique de la structure de l’œuvre avec une bobine manquante ! L’organisation du festival n’est pas en cause, il s’agit en fait d’une œuvre oubliée, à la limite maudite puisque même l’auteur ne l’a pas sortie des rayons du laboratoire depuis au moins vingt ans, et quand il l’a fait pour cette projection (acte manqué ? ), il a oublié de vérifier le contenu des boîtes.
Cri de révolte et de désespoir, le magnifique Cochon qui s’en dédit de Joël Le Tacon (1979). Nous sommes à la fin de la période de résistance et luttes issues de 68, deux ans avant l’élection de François Mitterrand. Un couple de paysans bretons est pris dans les rets de l’élevage intensif du porc. Le premier plan, un long travelling en arrière accompagné d’un cri massif, ahurissant pendant que le paysan jette de l’alimentation à droite et à gauche, nous plonge dans un cauchemar dont ni le spectateur, ni le couple paysan (et probablement pas plus le cinéaste) ne sortiront indemnes. Après cinq ans de dur labeur, nous apprendrons à la fin que le couple est heureux de sortir vivant, et sans dettes, de cette expérience. Le travail du cinéma, ici, aura été de faire lien non seulement entre les personnes filmées, spectateurs et cinéaste, mais aussi avec les bêtes. La vision des porcelets morts envoyés en l’air pour finir sur une décharge, nous plonge le nez dans un enfer dont on oublie difficilement la force. Et ici, c’est un film dont on peut difficilement dire qu’il porte un regard extérieur sur le processus qu’il filme. Par la figuration des fantasmes, par des échappées horrifiques et surréalistes, le film prend une dimension où les enchaînements poétiques et économiques nous nouent tous.
3. « L’en-commun » de l’acte cinématographique a pour effet de mettre dans le jeu la dignité de l’habitant de la campagne.
Le cinéma est un lieu de mise en commun d’expériences, de visions, il crée du lien comme le souligne volontiers Patrick Laboutte. Lien entre cinéaste, personnage et spectateur. C’est un moment où s’échange une langue, une image, une pratique culturelle. Cette pratique culturelle n’est pas toujours sans coût et parfois celui qui paye le plus lourd prix est le personnage, l’objet du regard du cinéaste, et à travers lui, du spectateur. C’est ce qui rend un film comme La vie comme elle va (Jean-Henri Meunier, 2004) si problématique. Les personnages ont tendance à devenir des caricatures dans le regard du cinéaste, et donc des objets de rire pour le spectateur. C’est plaisant, agréable pour l’ego (quelque chose à l’intérieur de nous-mêmes aime toujours se sentir supérieur à l’objet de notre regard) mais fondamentalement en contradiction avec l’esprit de l’acte filmique présenté dans la plupart des films de cette sélection. Ce n’était pas le seul film à présenter des habitants ou des « usagers » non agricoles de la campagne, mais quand même « le monde rural », titre de la sélection, était largement dominé par les paysans, les gens qui vivent à la campagne pour pouvoir produire. Or, là, un grand problème du cinéma français a été de traiter de tels gens avec dignité, de laisser percevoir leurs difficultés et la complexité des situations dans lesquelles ils se trouvent.
François Reichenbach ne nous propose pas un modèle de solution à travers son La Douceur du village, une série de leçons, énoncées au futur parfait citoyen gaulliste avec emphase, par un enseignant de la vieille école, à nous les spectateurs. Le regard communiqué est celui du touriste esthétisant, celui qui guette l’exotisme des lieux et la belle image.
Presque tous les films montrés insistent sur le poids et l’épaisseur du sujet filmé. Ils proposent au spectateur un regard amical, de prise de contact et de conscience, un regard à hauteur d’homme, d’égal à égal, non pas un regard de mépris ou de rire aux dépens de la personne regardée. Lors des rencontres filmées par Jacques Krier (Dangers en pays chartrain, C’est arrivé en Limousin) ou Pierre Desgraupes (Le Pain de seigle), de l’époque héroïque de la télévision française, qui nous étaient présentées par l’Ina-Atlantique, on a bien senti que l’acte de filmer était né d’une volonté de connaissance et de faire connaître, non pas des objets, mais des sujets de l’humanité, à d’autres sujets de l’humanité. Lorsque Guy Olivier filme Grador, grand vétérinaire, dans sa lutte pour faire naître un veau, au-delà du spectacle saisissant de la lutte ou du combat filmé, non pour donner la mort mais pour faire venir la vie, il s’agit de faire connaissance avec un grand bonhomme. Patrick Deboutte a présenté et défendu un court-métrage de documentaire découpé, Les Amis du plaisir de Luc de Heusch, à cause de la mise en commun que représente l’activité théâtrale amateur qui est l’objet du film, et le miroir qu’elle offre à la mise en commun théâtralisée qu’est le cinéma. Au-delà d’un portrait d’un ensemble de personnages, c’est la démonstration du fonctionnement d’une communauté qui est représentée. Dans sa solidarité, sa diversité, et face aux aléas de l’imprévu, dans son humanité.
4. La campagne moderne est un lieu-enjeu pour nous tous, habitants de la ville ou de la campagne, et nous devons soutenir les mouvements de résistance.
Et où allons-nous maintenant ? Peut-être un des reproches que l’on pourrait faire à cette sélection est qu’elle était très tournée vers le passé. Peu de visibilité sur les conditions actuelles de vie et de travail (exception faite pour Trois frères pour une vie et Le champ des paysannes), et peu d’interrogations sur l’avenir. Deux films nous posent ces questions et même si ni l’un ni l’autre ne constituent une grande œuvre de cinéma, ils sont à soutenir, à projeter et débattre en collectivité. Il s’agit de Blés d’or d’Honorine Perino ( 2005 ) et de Bayèrèma’shi d’Idriss Diabaté ( 2004 ).
Le premier est un reportage sympathique sur la culture du blé, le travail de certains agriculteurs (pour le coup, jeunes et parfois réinstallés) pour défendre les variétés traditionnelles de blé, la reproduction naturelle et la production artisanale de pain. Encore une fois dans ce film, et cela rappelle le film de Guy Olivier sur le vétérinaire, le morceau de bravoure cinématographique concerne le rapport entre le corps d’un homme et une matière non humaine qui lui résiste. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’un veau mais d’une pâte de pain non moins lourde, glissante et résistante à la volonté humaine. En travaillant sa pâte, l’homme transpire, et nous avec lui. Quant au message, il s’agit de dénoncer les effets de la standardisation des variétés, la recherche pour toujours plus de productivité et de profit (concentré autour de la nature du gluten) en faveur d’une autre agriculture, d’un autre mode de production en rupture avec la logique productiviste, et avec lequel on ne peut qu’être d’accord.
Bayèrèma’shi est, dans sa forme, un simple compte-rendu de voyage et de discussions. Une équipe d’agriculteurs et d’associatifs européens fait une tournée dans plusieurs villes du Mali pour parler des OGM, pour expliquer leur logique et leurs conséquences aux acteurs du monde paysan malien. Les acteurs du monde paysan malien réagissent. Le dispositif cinéma est simple, il s’agit de nous présenter un concentré en 52 minutes des prises de parole les plus significatifs. Or l’enjeu est tel (la plupart des gens vivant et travaillant dans les pays du Sud, la Chine y compris, sont des paysans, et la complicité de leurs États aux volontés d’expérimentation et d’implantation des multinationales de l’agro-chimie est facilement achetée), que nous restons accrochés du début à la fin. Le film devient transmetteur d’expérience et appel au réveil.
C’est un des paradoxes de cette sélection de s’appeler « Cinéma et monde rural ». Or la quasi-totalité des films parlait du paysan français, de la reproduction, de la crise et de la disparition du monde paysan français. Les autres habitants de la campagne, néo-ruraux, artisans, retraités, sectes religieuses, néo-ruraux, étaient peu visibles, ainsi que les « usagers » occasionnels de la campagne que nous sommes tous, vacanciers, consommateurs d’air frais et de saine nourriture, amateurs de balades et de belles vues. C’est ainsi que l’on peut être d’accord avec Pierre Alphandéry lorsqu’il remarque que, dorénavant, l’avenir de la campagne n’est pas un enjeu politique et social spécifique à une population donnée. Elle nous concerne tous, et les habitants de la campagne, comme nous autres citadins, sommes des acteurs de l’évolution de cette société d’ensemble, dont les contours qui se dégagent sont tellement terrifiants.
Peut-être, malgré tout, est-ce le versant positif du constat d’échec noté par Yves Dupont. La société « démocratique » industrielle, entendue comme une société qui atomise et individualise le citoyen, le transformant en consommateur et producteur infiniment malléable et détachable, supporte de moins en moins la coexistence avec des sociétés autres, closes, organiques ou ayant une autre relation au temps, à la terre, à la production que la simple rentabilité et le productivisme. C’est dans ce sens-là qu’on peut concevoir que la domination, étouffement et destruction des sociétés paysannes françaises font partie de la « catastrophe » annoncée. Peut-on imaginer d’autres liens entre les anti-productivistes résistants des villes et des campagnes ?
C’est peut-être cette « mise en commun » là qui n’a pas encore trouvé son expression dans le cinéma. Il y a du travail à faire.
Michael Hoare
6 septembre 2007