La Revue cinéma et société

Interview de Jérôme Dehondt administrateur des AMAP en Ile-de-France

Sylvie Dreyfus-Alphandéry : Bonjour. Tu es administrateur et représentant légal des AMAP en Ile-de-France, et tu utilises le film Homo-Amapiens. Pourquoi l’avez-vous choisi, en quoi son contenu et sa forme vous ont-ils intéressé ?

Jérôme Dehondt : En fait, la première fois qu’on a diffusé le film Homo-Amapiens, c’était dans le cadre de la fête des AMAP qui a eu lieu en 2008 au cinéma La Clef, à Paris. C’était une façon de pouvoir s’adresser de manière constructive aux consommateurs, mais aussi aux paysans déjà en AMAP, pour qu’ils puissent percevoir, les uns et les autres, comment le partenariat était vécu de l’autre côté.

Une centaine à peu près de personnes est venue pour assister à la fête dans sa globalité. Il y avait également des tables rondes, notamment avec des militants politiques. Donc, autour de la diffusion d’un film agréable à voir, étaient posées les bonnes questions sur des situations qu’ont pu vivre les deux parties, consommateurs et paysans, qui percevaient la réalité, de leur propre point de vue, sans se mettre à la place de l’autre. Après cette expérience, nous avons décidé d’acquérir quelques exemplaires d’Homo-Amapiens, pour le mettre à disposition des groupes de consommateurs lorsqu’ils organisent des soirées-débats au sein de leur groupe, dans leur quartier.

Justement, on a eu l’occasion de le diffuser dans le XIVème, dans le café associatif « Le Moulin à Café », ce qui a entraîné un débat croisé avec notre producteur et les consommateurs qui ont compris réciproquement pas mal de choses. Xavier avait déjà vu le film, auparavant, lors de la fête des AMAP, mais la plupart d’entre nous le voyaient pour la première fois.

S. D-A : Qui est Xavier ?

J. D. : C’est notre maraîcher, qui travaille en partenariat avec notre association de comsom’acteurs « Les Lapereaux des Thermopyles » depuis à peu près un an maintenant. Il est en AMAP depuis quasiment deux ans. De son côté, il a découvert la réalité vue du côté des amapiens, il y avait des points de vue auxquels il n’avait pas forcément pensé, et qui lui ont permis de comprendre certaines réactions de consommateurs ; c’était parfois un peu dur à percevoir pour lui, il a parfois réagi de manière très personnelle à ce film. Du côté des consommateurs, ceux, surtout, qui n’étaient jamais allés sur sa ferme, ont pu voir un peu comment ça se mettait en place, et comment lui pouvait vivre cette relation, qui n’est pas toujours évidente, notamment lorsque des difficultés se font jour.

S. D-A : Est-ce que tu pourrais définir très vite le principe des AMAP et comment les AMAP sont nées ? Les gens qui vont lire la revue sont des cinéphiles, en général, mais pas forcément des connaisseurs des AMAP. Et ce qui serait intéressant, puisqu’on a organisé la décade « Cinéma et monde rural » en Limousin, c’est que tu nous dises grosso-modo où sont implantées les AMAP, si c’est un mouvement très urbain, ou s’ il s’implante également dans des régions plus rurales ?

J. D. : Le premier partenariat – qui, à l’époque, ne s’appelait pas AMAP – entre paysans et consommateurs, s’est mis en place en 2001 dans le sud de la France en région PACA à côté de Toulon.

C’est un couple de paysans installés juste à côté de Toulon qui s’est mis en relation avec un groupe de consommateurs d’Aubagne, pour mettre en place ce partenariat sur la durée, avec des engagements mutuels. Très rapidement, ça s’est beaucoup développé et structuré.

À présent on en retrouve un peu partout en France.On estime à peu près à 1200 les groupes de consommateurs qui font partie d’une AMAP – ce qui représente à peu près 60000 familles quand même ! et ça se développe maintenant dans toutes les régions.

Dans le Limousin, on vient de mettre en place une coordinatrice, une porteuse de projets pour le développement des AMAP.

Pour l’instant, on a dans le Limousin un peu près deux ou trois partenariats en AMAP – ça s’est déjà développé assez rapidement.

Donc voilà, on trouve maintenant un peu partout des AMAP – ça se développe surtout dans le milieu périurbain – parce que ça répond justement à une attente des consommateurs urbains qui ont du mal à s’approvisionner en produits locaux et de qualité – bio –.

C’est aussi une façon, pour ces derniers de participer à une relocalisation de l’agriculture, à une redynamisation de leur bassin d’origine, et cela leur permet d’aller eux-mêmes voir les paysans le week-end pour leur donner un coup de main, alors que dans le milieu rural, finalement, les gens continuent à garder une attache assez forte, et ont leur propre circuit d’approvisionnement, que ce soit par les grands-parents, la famille, les amis… Ils produisent dans leur propre jardin, donc ils sont moins naturellement portés vers ce type d’approvisionnement.

Ceci-dit, j’ai notamment en tête des exemples dans le Maine-et-Loire où, autour de grosses bourgades, se sont créés des groupes de consommateurs AMAP. En Ile-de-France, des maires qui, voyant la vie de leur village péricliter, le dernier commerce disparaître, se disent « ben tiens je pourrais peut-être faire revivre un peu le village et faire se connaître les gens en créant une AMAP ».

Donc, voilà, ce lien social est générateur de sens, et permet de redynamiser une vie locale, et donc, in fine, ça peut très bien se développer aussi en milieu rural. En Ile-de-France, dans Paris, intra-muros, où la difficulté pour s’approvisionner en produits de bonne qualité est plus grande, les listes d’attente sont longues pour faire partie d’une AMAP, car il n’y a pas assez de paysans qui se proposent, souvent d’ailleurs parce que les terres sont très chères.

S. D-A  : J’aimerais te poser des questions là-dessus. Tu as parlé de lien social à travers les AMAP… De notre côté, si l’association « Autour du 1er mai » a créé la base « Cinéma et Société », c’est pour développer le lien social autour du cinéma, donc nous nous situons dans la même démarche. J’aimerais donc savoir si vous vous servez d’autres films qu’Homo-Amapiens comme outil de lien social ?
Par ailleurs, j’aimerais également savoir si vous vous définissez comme une association ou une fédération d’associations de culture populaire – ou d’éducation populaire.

J. D. : Alors pour répondre à ta première question : non, pas suffisamment, mais on y réfléchit très sérieusement.

Pourquoi pour l’instant on ne le fait pas plus que ça ? En fait, le principe Amapien parle déjà de lui-même, il est suffisamment simple pour qu’une première approche soit très accessible.

En revanche, pour aller plus loin, pour comprendre les pratiques agricoles, pour comprendre le contexte dans lequel tout ça prend place, pour comprendre tout ce qui gravite autour des questions de la biodiversité, des OGM, de la pollution des sols, il est nécessaire d’avoir des supports différents, notamment pour les « Amapiens de base » qui sont sensibles avant tout à ces questions à travers leur pratique Amapienne, mais qui n’ont pas forcément la disponibilité ni les moyens d’élargir leur prise de conscience.

Donc là, très clairement, un moyen d’accéder à cette conscience serait de passer par le cinéma documentaire. Le réseau OGM a réalisé un film très chouette montrant par exemple des paysans qui ont changé leur pratique culturales après avoir été très contents d’utiliser des OGM, parce que ceux-ci avaient augmenté leur rendement. Dans un premier temps, ça leur a suffi, et le film montre très bien comment ils sont passés ensuite à un autre niveau de conscience. C’est 52 minutes, mais on en ressort avec véritablement un autre niveau de compréhension sur ces questions très, très complexes.

En tant que réseau d’associations, on veut aller vers cette démarche. Certes, on offre des services à nos adhérents, à commencer par les paysans, et aussi aux consommateurs, des services qui sont liés à des démarches collectives, mais surtout, on se considère comme un mouvement d’éducation populaire, et donc on va aider nos adhérents à aller au-delà de leur pratique, qui est de récupérer un panier de légumes chaque semaine.

C’est quelque chose pour lequel on peut être bien dimensionné au niveau régional, et c’est là qu’on souhaite jouer un véritable rôle auprès des Amapiens, mais également auprès d’autres acteurs. Ce n’est pas pour rien qu’une association comme ATTAC, par exemple, est partie prenante de l’apparition des AMAP en France. ATTAC et Slow Food ont participé à la création d’Alliance Provence, le réseau des AMAP de la région PACA.

C’est véritablement je pense là qu’on peut avoir le plus d’impact, d’abord en montrant concrètement des pratiques différentes qui permettent de changer les choses, et ensuite d’utiliser ces pratiques-là comme levier pour faire changer la société, à travers une action d’éducation populaire.

S. D-A : Est-ce qu’une espèce de partenariat et d’accompagnement réciproque entre la base « Cinéma et Société » et le réseau des AMAP serait imaginable, que celui-ci nous signale tous les films qui circulent sur la question et nous dise quels sont à son avis ceux qui sont bons (parce qu’il commence à y en avoir pléthore…), et qu’« Autour du 1er mai » intervienne, de son côté, comme aide à la programmation de films ? Nous connaissons bien le cinéma et son histoire, nous pouvons donc vous signaler des films qui ont été produits, par le Ministère de l’agriculture par exemple, qui peuvent être très intéressants. En effet, ils sont très « datés » et permettent de jeter un regard rétrospectif sur l’évolution des formes d’agriculture : certains magnifient le productivisme des années soixante, c’est très intéressant de les regarder aujourd’hui.
D’autres parlent de cultures, de semences alternatives, des questions qui peuvent être utiles aussi pour le réseau des AMAP.
Notre idée de la base c’est vraiment de travailler avec d’autres mouvements de culture populaire qui connaissent mieux un domaine que nous, auxquels nous pouvons apporter notre connaissance du cinéma.

J. D. : Je dirais que l’agriculture est un domaine bien sûr qu’on connaît bien, mais on en connaît surtout l’actualité. On ne connaît pas forcément aussi bien l’Histoire, même si il y a dans le mouvement aussi de vieux paysans qui ont vécu tout ça, et peuvent retracer en partie, mais en partie seulement, toute l’évolution de l’agriculture. Donc, toutes les pistes qui peuvent apparaître ont une valeur pédagogique.

Certains films sont très réducteurs, opposent les paysans entre eux, mais d’autres sont vraiment intéressants, dont un qui s’appelle Cultivons la terre, à propos des OGM. Il montre bien, justement, à travers des petites saynètes, en 1h30, tous les enjeux qui se nouent autour de l’emploi des OGM.

Votre proposition est très intéressante pour le réseau AMAP en Ile-de-France bien sûr, mais au niveau national encore plus ; à travers la diffusion de films, vous pourriez aider des regroupements d’AMAP, qui sont en train de se créer dans diverses régions, à mettre en place leur réseau, en poursuivant leur mission, qui est d’assurer un travail d’éducation populaire ; ça peut inciter un large public à entrer dans le mouvement Amapien pour qu’enfin les changements de pratiques de consommation pèsent sur l’économie en général.

Sylvie Dreyfus-Alphandéry,
2007