Filmer la folie, quelle folie ?
Sélection réalisée en : juillet 2017
Le regard sur la folie ainsi que son traitement sont des révélateurs de l’état d’une société.
Le psychiatre François Tosquelles disait que « l’isolement est au cœur du problème de l’origine de la maladie » et soulignait combien « l’hôpital secrète sa propre pathologie, confine soignants et soignés dans la chronicité… c’est lui qu’il faut d’urgence traiter ». Sa réflexion et les pratiques cliniques des années 60 et 70 ont été au cœur du mouvement de la « psychothérapie institutionnelle » puis de la politique de sectorisation, qui a permis le suivi des patients hors les murs de l’asile.
À l’heure où la psychiatrie revient à une normalisation réductrice de la maladie mentale, nous assistons à une véritable régression de la qualité des soins pour les patients et pour les personnels soignants. Le soin demande des moyens humains permettant un travail de la relation s’appuyant sur l’éthique de la psychanalyse qui rend sa place de sujet au patient et qui ouvre à une pensée de l’institution comme cadre de soin. À l’opposé des techniques de dressage des comportements et de la seule approche médicamenteuse.
Les logiques managériales qui ont fait leur retour ces dernières années abrasent la créativité de l’écoute et du travail en équipe par la dégradation des conditions de travail dans les services de psychiatrie, intra et extra-muros, la réduction du nombre des personnels et de la formation, la diminution du nombre de lits, le raccourcissement drastique des durées de séjour… et surtout la mise à la porte de la psychanalyse comme pensée de l’inconscient.
Voici une filmographie qui vous propose de penser ces problématiques…
Cette sélection a pris le parti de ne proposer que quelques films qui retracent l’histoire du traitement de la folie et illustrent ses avancées depuis les années 1960. D’abord l’histoire de la psychiatrie avec Histoires autour de la folie de Paule Muxel et Bertrand de Solliers sorti en 1993, qui retrace la fin du « grand enfermement » des malades, et Regard sur la folie (1961) qui évoque l’expérience novatrice de l’hôpital de St Alban, initiée par le psychiatre catalan réfugié François Tosquelles après la guerre, à l’origine du mouvement de la psychothérapie institutionnelle.
Puis des témoignages sensibles qui donnent la parole aux patients de l’hôpital St Anne, avec le film de Serge Moati Mes questions sur la folie ainsi que le film de Raymond Depardon Urgences, réalisé en 1988 qui présente le visage de la folie quotidienne aux urgences d’un hôpital parisien.
Nous proposons ensuite quelques expériences de soin alternatives ou artistiques dans des lieux de vie ouverts, avec La Moindre des choses (clinique de La Borde) ou Nous les intranquilles au Centre Antonin Artaud de Reims, ainsi qu’une expérience remarquable d’atelier-théâtre dans le film de Yolande Josèphe Au bonheur des planches. Ou encore un lieu de vie et de soin hors du commun pour des enfants psychotiques dans le film de Mariana Otero, À ciel ouvert.
La dimension culturelle est abordée dans les consultations ethno-psychiatriques menées par Marie-Rose Moro à l’Hôpital Avicenne, J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau et, fait rare, la psychanalyse est évoquée dans des témoignages d’analysants dans Nos inquiétudes.
Nous avons pensé aussi à la maladie psychique en prison, tant la prison est devenue depuis le début des années 2000, et la fermeture de près de la moitié des lits hospitaliers, le lieu d’accueil de la folie : Être là de Régis Sauder donne la parole aux équipes de soin spécialisé de la prison de Marseille.
Enfin nous avons ajouté la fiction de Ken Loach, Family life, qui reste emblématique des questions sur la psychose qui traversent les années 60 et 70.
La folie reste une question sociétale et politique qui interroge la place du malade, de l’institution, et de l’environnement familial et social.
Filmographie réalisée avec Michelle Cotinaud, psychologue clinicienne et membre d’Autour du 1er mai.
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Monsieur Deligny, vagabond efficace
Richard Copans, 2019
La vie de Fernand Deligny, éducateur célèbre, et son désir de cinéma croisent l’accueil d’enfants autistes. Si on le connaît pour deux films Le Moindre Geste et Ce Gamin, là, il n’a cessé durant 40 ans d’articuler ses expériences de vie avec des essais cinématographiques au cours desquels Francois Truffaut sera l’un de ses compagnons de route. De l’hôpital d’Armentières en 1940 au hameau de Graniers, Deligny invente des lieux de vie qui permettent aux enfants et adolescents d’échapper à l’enfermement. Il crée du collectif et du réseau, et invente un atelier permanent de recherche sur ce qui fait l’humain au–delà du langage.
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Nicolas Contant, Le Groupe Cinéma du Centre Artaud, 2016
Un documentaire collectif qui commence au centre Artaud, centre d’accueil psychothérapeutique. Le Groupe Cinéma du centre raconte la maladie, la thérapie, leur rapport au monde. Après un premier geste documentaire, le film devient participatif et met en scène son élaboration collectif.
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Mariana Otero, 2013
À la frontière franco-belge, existe un lieu hors du commun qui prend en charge ces enfants psychiquement et socialement en difficulté. Jour après jour, les adultes essaient de comprendre l’énigme que représente chacun d’eux et inventent, au cas par cas, sans jamais rien leur imposer, des solutions qui les aideront à vivre apaisés. Au fil de leurs histoires, ce documentaire nous ouvre à leur vision singulière du monde.
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Régis Sauder, 2012
Elles sont psychiatres, infirmières ou ergothérapeutes à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille et reçoivent des détenus devenus patients le temps du soin. Être là, c’est rejoindre cet espace unique - celui de l’écoute - une poche d’air derrière les murs de la prison.
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Serge Moati, 2007
Schizophrénie, troubles de la personnalité, dépression, bipolarité, dans ce nouvel opus de sa collection documentaire Mes questions sur…, Serge Moati s’interroge sur le désordre et la souffrance psychique.
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Yolande Josèphe, 2003
En 1997, l’hôpital psychiatrique Charcot fait appel à des intervenants comédiens pour débuter un atelier théâtre, ouvert aux patients et aux soignants. Six ans plus tard, on retrouve une douzaine d’acteurs amateurs, libérés un instant de leur dimension pathologique ou de leur rôle professionnel.
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Judith Du Pasquier, 2003
Le film est parti d’une idée très simple : donner la parole, à propos de la psychanalyse, à ceux qui en ont fait ou font l’expérience ; ceux qu’on appelle les « analysants ». Des gens ordinaires, comme vous et moi, qui souffrent dans leurs têtes, dans leurs corps, comme tout le monde.
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J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau
Laurence Petit-Jouvet, 2002
Dans sa consultation d’ethnopsychanalyse à l’Hôpital Avicenne de Bobigny, Marie Rose Moro reçoit des familles migrantes, venues d’Afrique, d’Asie, du Moyen Orient et d’ailleurs. Là, les patients peuvent exprimer ce qui leur arrive, sans se couper de leurs croyances, de leurs coutumes, ni de leur histoire. Lieu d’invention autant qu’espace clinique d’exception, ce service a accepté qu’une caméra témoigne du travail sensible qui s’y déroule.
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Nicolas Philibert, 1996
Nicolas Philibert investit la clinique psychiatrique, hors norme, de La Borde, fondée par Jean Oury dans les années 50.
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Paule Muxel, Bertrand de Solliers, 1993
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les traitements psychiatriques ont beaucoup évolué : à l’enfermement hérité du XIXe siècle s’est substituée la volonté de réinsertion, tandis que le regard médical et social sur la folie évoluait. Ville-Evrard, en région parisienne, est un hôpital de santé mentale modèle, tel qu’on les concevait voici plus d’un siècle. Paule Muxel et Bertrand de Solliers donnent la parole à certains de ceux qui y ont vécu ou travaillé, retraçant ainsi la genèse de l’histoire psychiatrique occidentale.
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Raymond Depardon, 1987
Tourné au service des urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu à Paris, il filme des personnages du quotidien dans leurs demandes, leurs drames et leurs souffrances grâce à un dispositif d’une rigueur absolue.
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Ken Loach, 1971
Janice, une jeune fille de dix-neuf ans vit avec ses parents dans un pavillon de la banlieue londonienne. Ecartelée entre un père absent et une mère dominatrice, elle se réfugie peu à peu dans un mutisme qui la conduit à être internée.
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Mario Ruspoli, 1961
En 1960, Mario Ruspoli décide de tourner un documentaire sur l’hôpital psychiatrique de St Alban en Lozère. Pari courageux, à une époque où la folie est un sujet tabou, totalement occulté par la société.
Pour aller plus loin
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Quelle hospitalité pour la folie ? Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire
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Catalogue des Éditions d’une, qui publient depuis 2014 les archives de la psychothérapie institutionnelle et des documents d’actualité
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St Alban, lieu de psychothérapie institutionnelle, article publié dans Institutions, revue de psychothérapie institutionnelle n°48 d’octobre 2011
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Revue Institutions, revue de psychotérapie institutionnelle