Covid 19 - Année Zéro : Regards de cinéastes sur nos mondes confinés et l’hôpital en danger

Sélection réalisée en : mars 2022

Par Sophie Gergaud, programmatrice à Autour du 1er mai

La filmographie est téléchargeable au format pdf ici.

La Covid-19 fait partie de nos vies depuis deux ans déjà. C’est le 11 janvier 2020 qu’est annoncé officiellement par les autorités chinoises le premier décès dû à un virus qui n’a, alors, pas encore de nom. Le 17 mars 2020, la France se confine…

Sans pour autant oser qualifier cette date d’«  anniversaire  », nous avons eu envie, le temps d’une filmographie, d’évoquer et de convoquer quelques «  souvenirs  » de cette période si particulière. Et même si l’on ne peut pas encore dire que la pandémie de coronavirus n’est plus qu’un (lointain) souvenir, les films référencés dans la Base cinéma & société que nous avons sélectionnés nous plongent néanmoins dans le travail de cinéastes dont les œuvres sont devenues, avec le temps, autant de précieux éléments constituant au fil de leurs photogrammes successifs une mémoire filmée collective à partager.

Mais soyez rassuré·es : l’esprit qui traverse cette filmographie ne saurait se réduire au triste et au morose. Les films choisis savent aussi être tour à tour cocasses et drôles, poignants et touchants. Ils nous font en tout cas revivre, par procuration et écrans interposés, l’étrangeté de ces moments confinés. Grâce au recul que seul le temps procure, ils nous font prendre conscience de la véritable démesure de l’événement en lui-même mais aussi de ses multiples conséquences, particulièrement dramatiques pour les plus démuni·es.

Enfin, nous avons choisi de nous (vous) confronter à la mémoire longue du cinéma en allant également voir du côté des films plus anciens de notre Base cinéma & société, ces films de «  l’avant-Covid  » qui s’y retrouvent pourtant bel et bien liés. Impossible, en effet, de ne pas s’interroger sur l’état de santé de l’hôpital public – depuis longtemps malmené – et sur la financiarisation galopante de notre système de soins : or les signaux étaient déjà là depuis longtemps et la sonnette d’alarme avait déjà été tirée par des cinéastes témoins des conséquences délétères de choix politico-économiques de tous les dangers…

© Le Grain de sable dans la machine - Zorn Production

Confinements et autres quarantaines : le cinéma se souvient

Au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron annonçant que nous étions «  en guerre  », une partie de la France se fige. Des cinéastes continuent néanmoins de filmer, de créer, de témoigner et c’est l’histoire de nos mondes désormais confinés qui s’écrit via leurs regards et leurs sensibilités. Par la magie du cinéma partagé, ces souvenirs individuels se transforment en traces visuelles et sonores d’une mémoire filmée collective. C’est le cas de My Quarantine Bear, un journal des premiers jours du confinement suivis d’une quarantaine imposée, filmée avec humour et créativité par la réalisatrice Weijia Ma. Mes 15 ans dans ma chambre, roman-choral captivant, a quant à lui été écrit par cinq jeunes en classe de Seconde dont la vie se retrouve complètement bouleversée : comment vit-on son adolescence quand tout ce qui en fait l’intérêt (les sorties, les ami·es à l’école, les activités sportives…) est subitement suspendu par un confinement  ?

Produit par le Centre vidéo de Bruxelles, À distance nous replonge dans ce moment charnière où le télétravail s’est généralisé, des millions d’êtres humains se voyant alors contraints par l’entremise d’une pandémie d’être au bureau «  chez eux  ». De la disparition du collectif à l’invasion de la sphère privée, sans oublier le temps précieusement gagné sur les déplacements, À distance part à la rencontre d’expériences concrètes de télétravail en Belgique et entame un voyage réflexif bénéfique dans notre futur télétravaillé. Enfin, Confinés dehors ne nous transporte pas seulement dans un Paris vidé de sa population, de ses voitures, de son bruit et de sa pollution : il nous emmène surtout avec une grande humanité à la rencontre de celles et ceux qui, d’ordinaire invisibilisé·es par la foule, n’ont pas eu d’autre choix que de rester «  enfermé·es dehors  »…

Créations artistiques en introspection

Au cœur du premier confinement, tandis que le temps semble en suspens, des artistes laissent libre cours à leur imagination, leurs peurs et leurs interrogations. Pour Citadel, John Smith filme depuis sa fenêtre, mêlant dans un geste expérimental des images de paysage londonien et une ambiance sonore rythmée par les annonces gouvernementales. Avec son Abécédaire totalement décalé, Philippe Prouff nous embarque sur l’île imaginaire où son esprit confiné est parti séjourner… pendant 26 longues journées.

Sur un registre beaucoup plus sérieux, sans en être moins poétique et visuellement magnifique, La Vie nue du photographe Antoine D’Agata nous immerge au cœur de la crise sanitaire vue par l’intermédiaire de sa caméra thermique. Les effets thermodynamiques générés par les corps de malades et de celles et ceux qui s’agitent pour les soigner dans des hôpitaux débordés contrastent avec les rayonnements de corps fuyants émanant de quelques âmes errantes rencontrées au gré de rues désertées.

Tous ces films prouvent en tout cas qu’au moment où la créativité ne pouvait plus s’exprimer dans des lieux de culture résolument fermés, elle n’en a pas pour autant cessé d’exister, prenant des formes inattendues et se révélant tout aussi essentielle – à ses créateurs et créatrices, tout comme à leur public.

Un hôpital au bord de la crise de nerfs  ?

La «  mémoire collective  » est une représentation sélective du passé qui évolue avec le temps et qui participe à la construction d’une identité commune et d’un vécu partagé. Les expert·es sont formel·les : notre société ne retiendra pas tout de l’épisode «  Covid  » ni du choc des événements sidérants qui se sont enchaînés au cours de la première année. Pour preuve, l’épidémie de grippe dite «  de Hong Kong  », qui s’abat sur le monde en 1968, a quasiment été oubliée de toutes et tous. Son coût humain, aussi important soit-il, n’est pas resté dans les esprits, comme en témoigne le reportage 69, année pandémique. Si l’amnésie collective relative à des épidémies comme celle de 1968 est due – comme l’affirment les expert·es – à un manque de «  racontabilité  », à un déficit d’archives, de compilations d’images et autres témoignages, on ne peut qu’espérer que des films comme Derrière nos masques, véritable immersion de quatre mois au sein de différents secteurs du monde médical dans les tous premiers temps de l’épidémie, nous marqueront davantage de par les témoignages immédiats et à fleur de peau qu’ils nous livrent.

Indéniablement, le cinéma joue un rôle important dans la construction d’une mémoire collective. Et grâce au travail d’archivage de la crise épidémique effectué en temps réel, les images filmées peuvent ensuite être mobilisées pour faire resurgir une réalité trop facilement oubliée. Ainsi, en revoyant des reportages tels que Hôpital à fleur de peau (2018), Danger à l’hôpital, quand les médecins balancent (2019) ou encore Burning out. Dans le ventre de l’hôpital (2016), on prend pleinement conscience d’un mal-être hospitalier qui ne date pas de la COVID mais qui était déjà bien installé depuis des années, les soignant·es criant leurs mises en garde à qui voulait bien les écouter. Mais c’est revoir le documentaire réalisé par Stephane Mercurio en 2003 (oui, 2003  !) qui fait encore plus froid dans le dos, tant Hôpital au bord de la crise de nerfs montre que le ver installé dans le fruit ne date pas d’hier…

Et demain  ?

Alors, tandis que la crise s’éternise et avant de laisser la mémoire «  de l’usure  » prendre le dessus et sélectionner seule les souvenirs – essentiels ou non – qui nous resteront, on serait tenté de plutôt puiser dans des reportages comme Le Grain de sable dans la machine ou Big Pharma pour nous aider à faire sens des leçons du passé et envisager l’avenir autrement.

Dans le premier, Alain de Halleux se demande si la Covid-19 qui a, au moins pendant un temps, grippé la machine libérale peut véritablement nous conduire à abandonner le modèle économique qui a affaibli nos démocraties, nos systèmes de santé et la planète tout entière. Dans le second, l’enquête de Luc Hermann et Claire Lasko met en lumière la puissance démesurée de l’industrie pharmaceutique et les menaces qu’elle fait peser sur les systèmes de santé publique, mais aussi les élans de résistance inspirants qu’elle suscite.

Et c’est là que se cache sûrement la clé : loin de nourrir une psychose à l’effet sidérant, de tels films amorcent une réflexion plus profonde et à plus long terme. Face à la dérive de la financiarisation de la santé et des profits du Big Pharma, ne nous invitent-ils pas au fond à faire de la santé, des brevets et autres vaccins des biens communs  ?

Des rues désertes aux hôpitaux surchargés, en passant par le chaos et les réajustements nécessaires de nos sphères professionnelles et privées, retour sur quelques œuvres dont les images fortes et poétiques nous paraîtront peut-être aujourd’hui d’un autre temps. Et pourtant  !