Regards d’artistes sur un monde qui change

Sélection réalisée en : décembre 2022

«  Une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament  » - Émile Zola, Mes Haines (1866)

Le 11 décembre 2022 à 17h, à l’invitation du 100ECS qui coordonne le Festival 12x12 à Paris, nous vous proposons de rencontrer la réalisatrice Alexandra Pianelli à l’issue de la projection de son film Le Kiosque à la Cinémathèque française. Ce choix de programmation répond à la thématique du Festival 12x12, à savoir «  Regards d’artistes sur un monde qui change  ». Une thématique que nous avons donc décidé de décliner en filmographie ce mois-ci.

Nous saisissons ainsi l’occasion de vous parler tout d’abord de deux films coup de cœur (et coup-de-poing). Et, en cette fin d’année qui approche, c’était aussi l’occasion de replonger dans nos filmographies de 2022 afin d’y sélectionner à chaque fois un film qui porte le regard singulier de son auteur·e sur le monde qui l’entoure. Autant de pas de côté, de gestes forts et de partis-pris artistiques assumés qui nous parlent différemment du monde qui change… et qui nous bouleverse.

© Le Kiosque - Les Films de l’œil sauvage

Deux films coups de cœur (et coups-de-poing)

Véritable coup de cœur du mois, «  Notre mémoire nous appartient  » de Signe Byrge Sørensen et Rami Farah (2021, 1h29) est un film dont on ne sort pas indemne. Près de dix ans après le début de la révolution dans leur pays, Yadan, Rani et Odaï, trois militants vidéastes syriens, sont confrontés à leurs images, secrètement tournées au début de l’insurrection. Par le dispositif insolite qu’il a imaginé, le réalisateur fait surgir la mémoire des trois hommes face à leurs rushes qui documentent de façon percutante la révolution. «  Notre mémoire nous appartient est la mise en abyme d’hommes devant l’œuvre qu’ils n’auraient jamais voulu avoir à filmer. […] L’espoir né à Deraa semble [quant à lui] avoir déserté les trois amis, désormais exilés.  » (Lire l’article de Télérama)

«  Copyright Van Gogh  » de Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu (2016, 1h24) suit quant à lui, pendant plus de quatre ans, Zhao Xiaoyong, un peintre qui, avec sa famille, a réalisé environ 100 000 copies d’œuvres de Van Gogh sans avoir jamais vu un tableau original. Zhao n’est pas le seul habitant de Dafen à s’adonner à une telle pratique : dans ce village chinois qui compte à présent 10 000 habitants, des centaines de paysans se sont reconvertis en peintres, véritables «  stakhanovistes des Nymphéas et des Pont de Langlois  ». Les réalisateurs, Yu Haibo et sa fille Yu Tianqi, s’intéressent ici à une dimension très spécifique de ce vaste processus : «  ce que cela fait, à ceux qui le pratiquent, de peindre à la chaîne des Van Gogh à longueur d’année.  » (Lire l’article sur Slate.fr)

Une filmo de 2022 - Un film - Un regard

Notre première filmographie de l’année portait sur les Gilets jaunes et c’est le film «  Les Voies jaunes  » de Sylvestre Meinzer (2022, 1h55) que nous vous invitons ici à (re-)découvrir. Imaginé comme un «  regard sensible  » sur un «  sujet sensible  », le documentaire est né en réaction au traitement inique de ce mouvement par les médias conventionnels, d’une volonté de «  raconter autrement  » cette mobilisation trop souvent dépeinte comme hystérique, haineuse ou encore raciste. La réalisatrice a choisi, pour ce faire, de «  mettre côte à côte les témoignages de Gilets jaunes et leurs paysages, une manière de raconter avec leurs voix et vu à travers leurs yeux ce moment unique de l’Histoire  ». Il s’agissait pour elle de «  défendre le geste artistique coûte que coûte  », un geste qui lui permettait d’affirmer «  que si l’art, en tant que tel, est politique, c’est parce que le droit de créer librement est imprescriptible et que l’engagement d’un artiste n’est pas lié à un parti pris idéologique ou partisan, mais bien à la place de la création qu’il défend, dans une société donnée et à un moment donné  ». (Lire l’article de Sylvestre Meinzer dans «  Condition humaine / Conditions politiques  »)

Deux ans après le premier confinement, c’est avec une filmographie spéciale Covid-19 que nous explorions les souvenirs de cette période particulière. Parmi eux, ceux de Julien Goudichaud. Avec «  Confinés dehors  » (2020, 0h24), il ne nous transporte pas seulement dans un Paris vidé de sa population, de ses voitures, de son bruit et de sa pollution  ; il nous emmène surtout avec la beauté de sa grande humanité à la rencontre de celles et ceux qui, d’ordinaire invisibilisé·es par la foule, n’ont pas eu d’autre choix que de rester «  enfermé·es dehors  »…

À l’occasion de la sortie en salles de Média Crash : qui a tué le débat public  ?, notre filmographie du mois de mars s’interrogeait sur les menaces que l’hyperconcentration des médias peut faire peser sur notre démocratie. Et c’est avec un regard à la fois tendre et décalé que la réalisatrice Alexandra Pianelli apporte sa pierre à l’édifice en chroniquant la disparition programmée de la presse papier et, avec elle, celle de la profession de kiosquier. Tourné en caméra subjective, son film «  Le Kiosque  » (2021, 1h18) est un petit bijou d’inventivité, tout entier porté par les personnalités atypiques de ses protagonistes.

C’est aux côtés des ouvriers et ouvrières de «  L’Usine de rien  » (2017, 2h57) que nous avons célébré l’arrivée du joli moi de mai en regardant du côté de la «  France qui travaille  ». Leur direction s’étant volatilisée, le collectif a alors toute la place pour imaginer de nouvelles façons de se mettre à l’ouvrage. La forme cinématographique du film, à l’image de ses protagonistes, «  ne se plie à aucun consensus d’efficacité, de cohérence formelle : la chronique sociale, la comédie musicale kitsch cohabitant avec des discours lénifiants cheminent ensemble pour donner naissance à un essai libre et foisonnant, jubilatoire et émouvant  ». (Lire l’article sur le site de l’ACID)

Au beau milieu de l’été, le député Davy Rimane (Guyane, LFI) a secoué l’Assemblée nationale et nous a inspiré une filmographie décoloniale. Parmi les œuvres sélectionnées, «  Lèv la tèt dann fenwar. Quand la nuit se soulève  » d’Érika Étangsalé (2021 ; 0h51). Un film doux et taiseux, un geste tout aussi poétique que politique, un doc intime sur le déracinement, sur «  ce que l’on se transmet de génération en génération et [les] blessures de l’histoire que l’on porte  ». Un film avec beaucoup de silences, beaucoup de choses souterraines, et où ce sont les images qui expriment les choses car «  il y a des choses qui ne se disent pas comme ça.  » (Lire l’article de Télérama)

Et bien sûr, au-delà de nos filmographies, vous pouvez continuer votre exploration cinématographique grâce aux chemins et aux sentiers de notre Base cinéma & société  ! En écho à la thématique de ce mois, découvrez le chemin «  La création artistique sous toutes ses formes  ».