Cinéma & Palestine : « briser le silence et créer de la conscience »

Sélection réalisée en : février 2023

Alors que le film Tantura d’Alon Schwarz sera projeté le 12 février 2023 à 11h à l’occasion du prochain rendez-vous de L’Écran des droits au Majestic Bastille à Paris, notre filmographie mensuelle vous propose quelques films coups de cœur sur la Palestine sélectionnés par des bénévoles cinéphiles d’Autour du 1er mai.

L’Écran des droits est un rendez-vous mensuel co-organisé par Autour du 1er mai, la Ligue des droits de l’Homme, l’Observatoire international des prisons et Amnesty international. Les films sélectionnés ce mois-ci ont pour la plupart été soutenus par la Ligue des droits de l’Homme.

La filmographie est également disponible au format pdf ici.

© Tantura - Reel Peak

Un nécessaire travail de mémoire, pour «  briser le silence et créer de la conscience  »

Tantura (2022) nous replonge en 1948, au cœur de cette époque fatidique que les Israéliens qualifient de «  guerre d’indépendance  » et que les Palestiniens ont vécu comme la nakba, la catastrophe. Le film d’Alon Schwarz porte sur un massacre, ou plutôt sur la façon dont il a été occulté dans le récit national israélien. En faisant ce travail de mémoire, il révèle la façon qu’a le pouvoir de sculpter l’Histoire, tout autant qu’il met à jour le rôle de non-historiens dans l’élaboration d’une mémoire collective.

Premier documentaire israélien réalisé par un cinéaste sioniste à être diffusé dans des salles palestiniennes, Tantura prouve s’il en était encore besoin que le cinéma peut parfois être l’étincelle qui permet à des débats bénéfiques de se tenir, enfin : depuis la diffusion du film, des enquêtes ont en effet été ordonnées pour élucider le massacre de 1948. Le cinéma sait aussi se faire hommage, à l’image de celui que Tantura rend au destin brisé de Theodore Katz. À la fin des années 1990, les quelque 140 heures de témoignages qu’il a enregistrées dans le cadre de son master d’Histoire mettent pour la première fois à jour les assassinats de masse perpétrés par les soldats israéliens dans le village de pêcheurs aux abords du Mont Carmel, sur la côte méditerranéenne. Mais après un procès pour diffamation, et contraint de désavouer son propre travail, Katz verra sa carrière et sa vie privée ruinées… quant à la vérité sur le massacre, elle restera enfouie pendant encore quelques décennies.

On reste au croisement du cinéma et de l’Histoire avec le second film de notre sélection, Le Char et l’olivier (2019), qui raconte la Palestine d’hier et d’aujourd’hui, loin de ce que les médias appellent «  le conflit israélo-palestinien  ». Volontairement pédagogique, Le Char et l’olivier a pour but affiché d’intéresser à nouveau toutes celles et tous ceux que la durée du conflit a fini par décourager… En livrant de nombreuses clefs de compréhension, il souhaite débarrasser les esprits des clichés et des idées reçues en apportant un éclairage primordial basé sur des éléments factuels et incontestables… pour ne plus jamais s’entendre répondre : «  la Palestine, je n’y comprends rien  !  » Et c’est en ce sens, comme l’affirme très justement Jean Ziegler, que ce film «  brise le silence et crée de la conscience  ».

Cinéma de l’intime et colonisation au quotidien

En Cisjordanie, la durée de la lutte de Bil’in et son retentissement international en ont fait une séquence historique majeure. Dès le début de ce conflit en 2005, et pendant cinq ans sans interruption, Emad Burnat a filmé son quotidien et celui des autres habitants engagés dans une lutte non violente contre le «  mur de séparation  » érigé par Israël qui annexe alors près de 60 % des terres de leur village. Le documentaire qui naît de ces images, Cinq caméras brisées (2011), dresse la chronique d’un village qui lutte pour tout simplement obtenir le droit de rester propriétaire de ses terres et de co-exister pacifiquement. Portrait intime des proches du réalisateur, le film témoigne de la façon dont ce conflit sans fin les affecte jour après jour. En vivant aux côtés d’Emad et de sa famille dans la durée, on prend pleinement conscience des violences subies (spoliation des terres, harcèlement, non-droit, etc.) et d’à quel point la caméra, personnage à part entière, peut être tour à tour une alliée (empêchant la violence des Israéliens à l’égard du réalisateur) et une ennemie (provoquant des situations douloureuses pour sa famille mais aussi pour lui, comme lorsqu’il est arrêté par la police pour avoir filmé).

Gaza-stophe (2011) est un autre de ces films écrits à partir d’images du quotidien et de l’horreur. C’est parce qu’après les avoir vues, la trentaine d’heures de rushes tournées pendant les 22 jours de l’attaque israélienne de l’hiver 2008-2009 hantaient ses cauchemars et ceux de ses amis, que le réalisateur Samir Abdallah a décidé d’en faire un documentaire. Il enregistre alors ses rencontres avec les personnes qui ont filmé ces rushes. En revoyant à ses côtés ces images de Gaza sous les bombes, elles lui confient leurs réflexions sur le conflit et décrivent leur paysage mental après cette guerre extrêmement violente.

Autre film plongeant dans le mental et l’intime, Derrière les fronts (2017) nous fait traverser la Palestine en compagnie du Dr. Samah Jabr, héritière directe du psychiatre anticolonialiste Franz Fanon. Cette psychiatre-psychothérapeute et écrivaine palestinienne utilise en effet son expérience dans le domaine de la santé mentale comme outil de résistance. Car comme le dit très bien la réalisatrice Alexandra Dols, la colonisation au quotidien ne concerne pas seulement les terres, les logements ou l’eau, tout comme elle ne cherche pas simplement à s’imposer par les armes : elle s’invite aussi dans les esprits, «  derrière les fronts  ». Ainsi son film témoigne-t-il des stratégies et des conséquences psychologiques de l’occupation, mais aussi des outils développés par les Palestiniens pour y faire face.

C’est le cinéma d’animation qui sert d’outil à Stefano Savona dans son film Samouni Road afin de ramener à la vie les membres d’une famille tués lors de l’opération «  Plomb durci  » à Gaza. Comme Gaza-stophe et Cinq caméras brisées, le documentaire est né des prises de vues réelles filmées sur le vif, pendant la «  tragédie  ». Mais le réalisateur ne voulait pas se contenter de raconter la mort, en 2009, des 29 membres de la famille Samouni qui ont péri dans le massacre. C’est donc grâce aux images dessinées par le graphiste Simone Massi qu’il vient combler l’absence et faire revivre un quartier et des personnages charismatiques qui ont réellement existé.

La Palestine en exil

La Palestine vibre aussi hors de ses frontières, au cœur des camps de réfugiés. Little Palestine. Journal d’un siège (2021) nous fait découvrir celui de Yarmouk, en Syrie. Construit après 1948 en périphérie de Damas, il s’est étendu au fil des ans jusqu’à devenir un véritable quartier de la capitale. Mais il fut aussi le lieu de combats féroces entre l’Armée libre et les troupes de Bachar el-Assad pendant la guerre civile. Tourné sur plus de quatre ans sous forme de journal filmé, Little Palestine suit le destin de civils pendant le siège brutal et témoigne avec force de la résistance - et la résilience - de tout un peuple pris dans une tragédie qui se répète inlassablement.

Yarmouk toujours, avec cette fois Les Chebabs (2012), portrait d’un petit groupe de garçons et de filles qui se connaissent depuis l’adolescence. Aujourd’hui au seuil de l’âge adulte, ils débordent dans le film d’une véritable soif de vivre mais se retrouvent confrontés à des réalités complexes. Comme le précise la plateforme Tënk qui propose le film en VOD, face à la fatidique question de savoir s’il faut partir ou rester, ces jeunes montrent qu’ils ont surtout le désir de trouver leur place dans le monde et de rencontrer, enfin, la liberté.

La vie et l’amour, toujours : «  Nous souffrons d’un mal incurable appelé l’espoir…  » (Mahmoud Darwish)

En faisant ressentir l’occupation de l’intime, au plus profond de l’espace mental, la réalisatrice de Derrière les fronts nous faisait certes ressentir l’oppression et l’étouffement mais il y avait aussi, déjà, le souffle vital, ce fameux «  sumud  » palestinien qu’elle définit comme une forme de culture de résilience orientée vers l’action contre l’oppression, qui prend racine au niveau individuel mais qui se mène collectivement. De même, Gaza-strophe ne raconte pas que l’horreur mais aussi le fait qu’au delà de leurs souffrances, les Gazaoui portent toujours le «  fardeau de l’espoir  » qu’ils font vivre à travers leurs poèmes, le chant et le nokta, ces blagues ou histoires qu’on aime à se raconter…

On le sait, l’humour et l’ironie comptent parmi les armes redoutables pour lutter contre l’absurdité et la cruauté du quotidien - ce que le film Les Citronniers (2007) réussit particulièrement bien. Dans cette fiction d’Eran Riklis, beau portrait de femmes doublé d’une fable généreuse sur les aberrations du conflit israélo-palestinien, Salma doit raser ses citronniers parce que son voisin - qui n’est autre que le ministre israélien de la Défense - les considère comme une menace pour sa propre sécurité… Et c’est en la personne de Mira, l’épouse du ministre, que Salma va trouver une alliée inattendue.

Dans 3000 nuits (2015), fiction inspirée d’une histoire vraie, l’espoir vient du personnage lumineux de Layal, une jeune palestinienne incarcérée pour un crime qu’elle n’a pas commis  ; du petit Nour, à qui elle donne naissance entre ces quatre murs de haute sécurité  ; mais aussi de toutes les modalités de résistance mises en place par les prisonnières palestiniennes et de l’élan de solidarité dont elles témoignent pour veiller au bien-être du nouveau-né. Quand on sait que, depuis 1988, 700 000 Palestiniens et Palestiniennes (soit 1/3 de la population) sont passés par les geôles israéliennes, on réalise à quel point 3000 nuits dépeint une réalité des plus concrètes pour les habitants des territoires occupés - la plupart des comédiennes et des membres de l’équipe de tournage avaient d’ailleurs déjà fait de la prison ou avaient un membre de leur famille incarcéré. Et on saisit d’autant mieux la volonté de la cinéaste Mai Masri de mêler l’aspect brut du documentaire à une esthétique poétique tirée de l’expérience carcérale elle-même afin de reconstituer le plus fidèlement possible le quotidien de prisonnières politiques palestiniennes et d’honorer leurs puissantes stratégies de survie.

En définitive, le point commun des films sélectionnés ce mois-ci est leur refus de ne faire exister leurs protagonistes qu’en tant que victimes, au travers des seuls drames qu’ils ont traversés. Loin de se limiter aux massacres (qu’il faut néanmoins raconter pour ne plus qu’ils soient oubliés) ou aux deuils (eux aussi nécessaires pour honorer les êtres aimés qui nous ont quittés), les réalisateurs et réalisatrices de ces films ont souhaité, comme l’exprime très bien Stefano Savona (Samouni Road), redonner aux Palestiniens «  une existence longue [et] cesser de les ensevelir tous, les vivants et les morts, sous le poids de l’événement fatal  ». Et c’est sûrement là que réside la force du cinéma : en nous proposant, grâce à des personnages tout en nuances et complexité, grâce aussi au temps long et au détour par l’intime, de nous détourner des rôles auxquels les médias assignent trop souvent les Palestiniens, acculés entre le terroriste et le martyr.

Au-delà de nos filmographies, continuez votre exploration cinématographique grâce aux chemins et sentiers de notre Base cinéma & société  ! Et en écho à la thématique de ce mois, découvrez la section «  Israël/Palestine  » du fil de l’Histoire…