La « résistible ascension » de l’extrême droite en France et en Europe

Sélection réalisée en : novembre 2024

Par Sylvie Dreyfus-Alphandery, vice-présidente d’Autour du 1er mai

Tandis qu’une grande partie de nos élu·es semble se laisser tenter par une alliance avec le Rassemblement national devenu «  fréquentable  », nous vous proposons de revisiter le fil de l’Histoire grâce au cinéma afin de mieux décrypter cette effrayante ascension.

Comme l’écrivait Léo Brachet pour l’INA en juin dernier, alors que certains membres des Républicains se laissaient tenter par l’alliance avec le Rassemblement national, les archives, elles, nous emmènent à Dreux en 1983. Le moment où, «  pour des élections municipales partielles, la droite et le centre s’étaient alliés à l’extrême droite : une première dans une campagne électorale. A l’époque, il n’y avait pas eu de front républicain contre cette alliance.  » Au soir du premier tour des élections municipales, le 11 septembre 1983, c’est le coup de tonnerre : fort de ses 17%, Jean-Pierre Stirbois, membre du Front national, devient celui qui peut faire basculer la ville «  entre une gauche et une droite au coude-à-coude. La liste de la droite et du centre décide alors de s’allier avec l’extrême droite. C’est une première dans une campagne électorale française, au grand dam du candidat socialiste  », et la première percée du Front national en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Simone Veil, quant à elle, sera vilipendée par son propre camp et le duel de Dreux deviendra un enjeu national

Ainsi commence la «  résistible ascension  »(1) du Rassemblement national…

2002. 2ème déflagration : Jean-Marie Le Pen arrive au second tour des élections présidentielles devant Lionel Jospin. Non  ! de Didier Nion (2002), évoque avec force ce moment de bascule. Toutes les générations et communautés sont unies face à ce qu’on qualifie alors de peste brune. Comme le notait Benoît Hické à l’occasion de sa programmation pour Tënk, «  il faut revoir aujourd’hui ces images de manifestation pour mesurer tout ce qui a changé en 22 ans.  »

Un retour en arrière s’impose car oui, bien avant 2002, le poison du racisme commence à s’instiller en France. Le silence des champs de betteraves d’Ali Essafi (1998) en témoigne. Nous sommes en Seine-et-Marne, là où la banlieue s’estompe pour laisser la place à la campagne. À la suite d’un acte collectif d’agression raciste contre un jeune beur, une commune rurale d’île de France se retrouve face à elle-même et s’interroge avec difficultés sur les raisons de son acte.

En 2007, le réalisateur Djamel Zaoui rappelle fort à propos dans le reportage OAS, un passé très présent que plusieurs lois d’amnistie ont été promulguées à la faveur des anciens de l’Algérie depuis la fin de la guerre. En 1968, le général de Gaulle prononce l’amnistie pour certains des anciens généraux putschistes. Mitterrand amnistie également. Tous les présidents depuis 1962 ont prononcé des amnisties, gauche et droite confondues. D’anciens membres de l’OAS sont venus grossir les rangs du Front national. Hélas, désormais, les familles issues de la droite française, des gaullistes aux soutiens de l’OAS, se réconcilient autour de l’exaltation de la France en Outre-mer et concourent à la banalisation de l’extrême droite.

Ainsi, la région du Nord sera l’une des premières régions où va s’implanter le Front national. Deux documentaires audiovisuels en témoignent : Bassin miné (2014), longue enquête d’Edouard Mills Affif, réalisateur originaire du Nord, et Hénin-Beaumont, chronique d’une élection (2012) qui voit Marine Le Pen accéder pour la première fois à la députation.

Le documentaire La Cravate de Mathias Théry et Etienne Chaillou (2019) dessine quant à lui le portrait de Bastien, jeune militant du Front national engagé dans la circonscription d’Amiens lors de la campagne présidentielle de 2017 et qui s’y investit massivement, particulièrement à travers les réseaux sociaux. Bastien s’est confié aux réalisateurs lors d’entretiens qui fournissent la matière d’un récit qu’il lit face à la caméra. Ce dispositif original lui permet de réagir à la manière dont les réalisateurs le présentent et de donner son accord à la divulgation de telle ou telle information. Ce procédé de réalisation scelle une sorte de pacte entre Bastien et les réalisateurs qui renouvelle le genre documentaire du portrait filmé.

Autre portrait qui renouvelle également la façon de filmer le Front national, le film de fiction Un Français (2015) retrace l’histoire de Marco et de ses acolytes qui passent leur temps à agresser des Noirs et des Arabes, et à coller des affiches de l’extrême droite. Au fil du temps, Marco se remet en question, décide de changer sa perception de l’autre, faite de haine et de mépris, et abandonne la colère, la violence et la bêtise qui l’habitent depuis de nombreuses années. L’écart se creuse entre lui, sa petite amie et ses proches, bien décidés à garder leurs idéaux racistes, islamophobes, xénophobes, homophobes…

Paul Moreira explore quant à lui les ressorts du vote Front national avec son reportage Danse avec le FN (2015), réalisé pour l’émission «  Spécial Investigation  ». Pas celui de militants aguerris mais celui des nouveaux électeurs car, dit-il, ces derniers sont aujourd’hui le cœur du problème. Il confie avoir voulu «  faire un voyage dangereux au cœur du Front national  » : «  Je voulais comprendre très concrètement comment tant de gens venus de la gauche ou de la droite républicaine pouvaient sauter le pas. À quel moment basculaient-ils  ? Je voulais faire le tri entre les fantasmes, les manipulations et les colères légitimes, les peurs, les brisures. Je suis parti avec tous mes à priori et, comme à chaque fois qu’on prend la route, j’ai dû les réévaluer. Cette histoire s’est tissée sur presque un an. C’est un film non autorisé qui s’est fait contre la volonté de la direction du Front national. J’ai l’immense honneur de figurer sur leur liste noire de journalistes qui ne sont pas bienvenus (ça tombe bien, je n’avais pas besoin d’eux…)  ».

Le 9 juin 2024, lors des élections européennes, plus d’un demi million de jeunes de 18 à 24 ans ont voté pour la liste menée par Jordan Bardella. Le reportage de France 2 pour «  Complément d’enquête  », Jordan Bardella, le grand remplacement (2024), est intéressant à plus d’un titre : c’est une plongée dans le fonctionnement du Rassemblement national qui trace le portrait d’un jeune arriviste séducteur et cynique. Il repose sur une solide enquête qui montre que son investissement dans le Front national, à l’âge de 18 ans, conjugue un plan de carrière mûrement réfléchi dès son plus jeune âge avec une idéologie qui fraye avec les idées les plus racistes, quoiqu’il s’en défende. C’est en effet toute la stratégie actuelle du Rassemblement national que de donner à ce parti une image lisse qui ne correspond en rien à la réalité.

Enfin, à l’heure où la montée de l’extrême droite en France devient un horizon de l’ordre des possibles, le réalisateur du documentaire White Power, au cœur de l’extrême droite (2024), Christophe Cotteret, a longuement enquêté dans trois pays d’Europe : en France, en Allemagne et en Belgique. Des néonazis de l’AFD aux adeptes du Ku Klux Klan, des détracteurs de la société multiculturelle aux négationnistes, White Power souligne également la recrudescence de groupuscules ultraviolents à travers le continent européen. Mais dans ces trois pays, peu à peu l’extrême droite se rapproche des cercles du pouvoir. Ce documentaire met en lumière une nébuleuse internationale qui menace les démocraties libérales. Selon Europol, la menace des violences d’extrême droite pourrait bientôt dépasser celle des filières djihadistes.

Alors, comme nous le rappelle Claude Alphandéry :

«  Contre l’extrême droite, agissons comme si nous ne pouvions pas échouer.  »

Notes :

(1) Le titre fait référence à l’ouvrage de Berthold Brecht, La résistible ascension d’Arturo UI, publié en 1941.